L' IA et le marketing digital
Escape a organisé le 20 juin dernier, avec l'aide du Réseau Oudinot et d'AEgir-IT, une rencontre chez Alliancy (la mag numérique et business) sur les transformations qui touchent la publicité, la communication et le marketing.
La comm, le marketing et le digital
« On ne naît pas marque », on le devient, disait Maurice Lévy ; cette citation résume l’idée qui a conduit à l’organisation d’une rencontre croisant la communication, le marketing et le digital. Et c’est pour interroger la question du contenu, du message, celle du ciblage, de la diffusion, que nous, Escape et le Réseau Oudinot, avons organisé une rencontre le 20 juin 2019. Notre intention ? Appréhender la relation entre marque et cible depuis deux regards différents : le côté construction des messages avec Deborah Tapia,senior planning manager chez DDB, le 2e des groupes de communication mondiaux, créé il y a plus de 70 ans à New York ; le côté CRM avec Matthieu Chouard,directeur des ventes Europe chez Tinyclues, une start-up qui n'a pas 10 ans, fondée à Paris par David Bessis, un chercheur en maths pures convaincu de leur utilité dans le marketing. On ne pouvait mieux différencier.
La scène se passe chez Alliancy, média accueillant et spécialisé dans la transformation digitale sur les organisations (du SBF 120 principalement) et les territoires, dans ses aspects humain, organisationnel et technique.
Le communicant, concepteur de services
Avec Deborah Tapia se dessine un cadre: l’internet sans frais cède la place à l’internet sans pub. C’est l’essor de Netflix, de YouTube premium, mais aussi de Ad block, du « skip la pub ». En tant que communicante, c’est un très gros défi. Mais cela ne doit pas dissimuler les nouveaux paradigmes, au moins aussi challenging, qui ont émergé. Le premier est la déconsommation, une tendance lourde dont elle décline quelques d’exemples :
- l’alimentaire, avec l’invitation à « consommer moins pour consommer mieux »,la valorisation des circuits courts ou le bien-être animal
- la mode avec la location de vêtements de saison ou la progression des ventes d’occasion,
- la mobilité avec le développement des transports alternatifs (trottinette, vélo,…) et le covoiturage.
Tous ces sujets, dont la dimension sociologique n’échappera à personne, partagent une logique : ne pas se priver ; on veut de la meilleure qualité.
Schawn O’Nealn VP Global People & Data & Marketing Analytics d’Unilever, patron d’Unilever ne dit-il pas : « Je perds des parts de marché non pas du fait de mes concurrents, mais de petits producteurs de produits de niche. » Il y a une demande de « sens », de local, d’artisanal.
La question de la fluidité est un second paradigme qu’elle situe comme un effacement progressif des frontières entre des domaines ordinairement séparés. Ainsi, public et privé, travail et loisir (l’arrivée d’espaces ludiques sur les locaux d’entreprise), mondes physique et virtuel (observable avec les sites de rencontre), ancien et nouveau (entre le traditionnel, l’artisanal et la commande en ligne). Étrangement, on retrouve ici une observation de la sociologue Nathalie Heinich dans son livre sur la visibilité pourtant consacré au vedettariat. La similitude ne saurait être fortuite. Être vu, aujourd’hui, doit composer avec des opposés d’hier.
Comment réagissent les marques ? Quelles sont les nouvelles façons de se faire remarquer ? Avec « vendre, c’est être utile » la tendance forte est d’embarquer des services. Les boutiques Apple deviennent des lieux d’apprentissage de cuisine, de programmation, de photo, des lieux de concert, bref des lieux de culture et de divertissement. La communication de Nike s’est déplacée de celle d’un équipementier sportif à « On est tous des athlètes ».
Le job des communicants, insiste-t-elle, c’est aussi de trouver des services utiles ! On croit comprendre ce qu’Accenture est venu faire en achetant l’agence de publicité Droga5.
À côté du service plutôt que le device, le digital engendre une autre transformation de la pub : le hackvertising. Cela consiste à surfer sur un « sujet du moment », à insérer la marque dans les réseaux sociaux, quels que soient les sujets débattus, technologique, politique ou sport, pourvu que des messages porteurs de l’ADN de la marque puissent être placés. C’est une sorte de stratégie du coucou qui cherche à placer quelque chose de pertinent par rapport à l’identité de la marque. Burger King en a fait sa stratégie première ; aujourd’hui, la marque est inhérente à la pop culture.
On voit combien les stratégies de communication s’adaptent et surfent sur les nouveaux usages. Le contraire aurait été surprenant ; mais les formes adoptées étonnent et en même temps témoignent de l’esprit du temps.
Les campagnes stimulées par l’IA
Avec Matthieu Chouard, on passe au ciblage des campagnes marketing. On est dans le CRM travaillé par l’IA. Mais une IA, prévient-il, à ne pas réduire à des algorithmes. Ces algorithmes doivent non seulement calculer, mais aussi pouvoir apprendre, prendre des décisions et être autonomes. On est dans les techniques de deep learning appliquées de manière plus habituelle en reconnaissance d’images ou de sons. Elles sont ici mises en œuvre sur des données marketing.
Un paradoxe, souligne Matthieu Chouard, est que 89 % des marketeurs disent envoyer des messages pertinents, disent personnaliser l’expérience client, alors que seuls 5 % des clients disent que les emails des marques sont bien adaptés à leurs besoins. A un moment donné, seul 1 % des clients donne une intention sur leurs futurs achats par un interaction ou un signal tels qu’une visite sur un site web ou en répondant à un message. L’opportunité business que traite TinyClues réside dans les 99 % des clients qui ne donnent aucune intention alors qu’ils sont dans la cible de campagnes marketing effectuées par email, push, sms, courrier, magasin, call center, Facebook, en ne sachant pas les intentions du destinataire au moment où le contact se fait. D’où la nécessité d’un travail en profondeur sur les données clients, un travail qui dépasse les intentions explicites et creuse dans la mine d’informations dont les entreprises disposent. Tinyclues s’attaque aux données dans leur format le plus brut possible, moins elles ont été touchées, plus elles sont potentiellement riches. Il s’agit de recouper les données sociodémographiques, le catalogue produit, les historiques de transaction, de campagnes, de navigation, bref tout ce qui peut contribuer à affiner le profiling des clients ou des prospects.
Mais TinyClues intègre aussi des métacontraintes, c’est-à-dire des exigences liées à la conduite même des campagnes : ainsi, un maximum de 40 campagnes par semaine ou un maximum de 2 messages par personne et par semaine. Ou encore un objectif d’état du stock. On peut viser des objectifs comme vendre plus de produits phares, de best-sellers, de nouveaux produits ; ou des objectifs de vente d’articles en surstock, des produits de niche ou à forte marge.
Cela dit, le deep learning prend une valeur ajoutée accrue dans le traitement de clients à faible activité. C’est du côté de ceux qui ne se manifestent pas ou très peu que se trouve un vivier puissant de réactivation des comportements d’achat. D’où l’importance des historiques des campagnes. Les acheteurs actuels servent à détecter les futurs acheteurs parmi les anciens !
D’un projet mené avec Lacoste, Matthieu Chouard montre comment la volonté de focaliser les campagnes marketing sur des produits stratégiques comme les sacs à main a été satisfaite par l’ajout de campagnes très ciblées. L’action a doublé le chiffre d’affaires généré. Il montre aussi comment une réduction significative du taux de désinscription a été obtenue en isolant des ensembles plus pertinents de prospects pour chacun des produits.
Pour le Club Med, un deuxième exemple présenté, le projet mené avec TinyClues visait à améliorer un ensemble de paramètres d’efficacité : développer la fidélisation à travers l’augmentation du taux de réachat ; spécialiser par destination, période, catégorie, etc. des listes de prospects ; mais aussi maximiser le ROI des canaux payants comme l’envoi des catalogues et les appels sortants ; ou encore, optimiser l’agenda des campagnes à travers l’ensemble des canaux. Ce qui fait apparaître à nouveau deux niveaux d’optimisation : celui qui agit sur une campagne donnée pour en accroître le CA généré ; celui qui pilote les campagnes dans leur ensemble.
C’est en affinant les traitements sur les approches comportementales liées aux derniers achats, sur intégrant précisément les spécificités omnicanales, qu’ont été obtenus un accroissement de 88% du CA moyen par email, et de 45% le panier moyen.
En ce qui concerne le ROI des canaux payants, le projet a permis d’augmenter de 16% le taux de conversion d’en envoi d’emails en actes d’achat et une augmentation de 87% du taux d’achat par catalogue.
La croissance impressionnante de TinyClues traduit la puissance de l’IA, (pour être précis, il s’agit ici d’apprentissage multicouche non supervisé),quand elle est conçue et développée pour la prédiction des comportements d’achat. Par delà les deux exemples évoqués ce sont des Cdiscount, Fnac, La Redoute, PriceMinister, Vente-privée.com, Sarenza, ou Voyages-sncf qui s’en remettent à TinyClues pour optimiser leurs campagnes.
Le singulier
De ces deux visions, que pouvons-nous retirer en tant que professionnels du numérique ? Il y a d’abord et surtout comprendre les métiers impliqués dans la communication, leur spécificité, les cas d’usage, les attentes de résultats, les contraintes de diffusion. Dans le contexte d’interactivité massive qui est le nôtre, cette compréhension est essentielle. Tout l’IT est aujourd’hui traversé par le paradoxe de la publicité qu’énonçait, il y a longtemps déjà, Marcel Bleustein-Blanchet : il faut s’adresser à la fois à tout le monde et à quelqu’un en particulier.
On retrouve cette tension, en suivant Deborah Tapia et Matthieu Chouard, dans les envoyer un message et attirer l’attention au moment opportun, ne pas interrompre, mais enrichir, aider à reconnaître le bénéfice d’un objet ou d’un service peut-être inattendus, dépasser le ciblage sociodémographique parce que les comportements, les attitudes ne se résument plus à l’âge, au sexe, à la CSP ou au lieu d’habitation, détecter l’inexprimé et la tendance dans des signaux faibles. Bien d’autres choses encore ont été dites.
En écoutant s’exprimer ces deux cultures, l’une en amont l’autre en aval du message, l’agence de publicité travaillant l’émotionnel et les data scientists calculant des optimaux, on comprend que chacun parle à sa manière du besoin d’être perçu, de comment être perçu.
Maurice Zytnicki, président d’Escape